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Nella mia pagina Facebook, lo scorso dicembre, a commento di un post in cui pubblicavo una delle tante storie inedite di protagonisti dei viaggi dei “treni della felicità”, Fabienne Maggi Bastendorff mi chiedeva:
Non riesco a trovare il suo primo libro “I treni della felicità”. Come fare? Sono francese e devo fare una recensione del libro di Viola Ardone e mi servo del suo lavoro storico per spiegare la faccenda ai miei uditori francesi. Grazie a lei, Giovanni Rinaldi, di avermi fatto scoprire questa storia bellissima e commovente.
Le risposi che il mio libro I treni della felicità era ormai fuori commercio, ma che avrebbe trovato quelle stesse storie (e tutte le nuove nel frattempo ritrovate) nel mio nuovo libro C’ero anch’io su quel treno pubblicato da Solferino nel 2021. Aggiunsi anche, per franchezza, che non stimavo la Ardone, spiegandole i motivi alla base di questo.
Caro Giovanni, grazie per la sua risposta. Sono stupita di quello che lei mi spiega sull’atteggiamento di Viola Ardone, tanto sono numerosi i fatti tratti dalle sue ricerche nel romanzo… C’è anzi un testimone che si chiama Amerigo! Il romanzo intero è contenuto nelle testimonianze dei protagonisti raccolte da lei. Devo dire che il romanzo mi ha permesso di interrogarmi su questa storia e cercare di saperne di più. Il mio gruppo di discussione è piuttosto letterario, ma avevo l’intenzione di collegare gli elementi del romanzo alla storia vera. Quello che mi ha scritto mi spinge ad accentuare questo modo di procedere, sapendo che, ancora una volta, la vera storia oltrepassa la finzione, e questa storia c’insegna molto degl’italiani, del PCI nei primi anni del secondo dopoguerra, delle donne magnifiche e di questi bambini coraggiosi. Tutto questo voglio condividerlo coi miei ascoltatori francesi, anzi bretoni, che dell’Italia sanno poco o niente…
E così, qualche giorno fa, ho ricevuto da Fabienne il testo – che mi ha autorizzato a riprodurre più sotto -, utilizzato come base di discussione sul romanzo proposto al gruppo di lettura. Quello che scrive mi ha colpito molto, perché da semplice bozza di recensione del romanzo il testo si apre ad un’analisi, quasi comparata, tra le storie scaturite dal mio lunghissimo lavoro di ricerca e la loro “trasposizione” romanzata nel testo di Ardone. Quasi una doppia recensione, in cui Fabienne per i suoi uditori traduce diverse parti del mio libro in francese, permettendo loro, così, di riconoscere autonomamente spunti, aneddoti, comportamenti nei fatti, nella trama e nei personaggi del romanzo stesso.
Non posso che ringraziarla della sua passione – per l’Italia, la sua letteratura, le sue storie migliori – che la porta a scavare non solo tra le parole letterarie, ma anche tra le parole portatrici di testimonianze dirette, di persone in carne ed ossa, queste piccole storie – faticosamente ricercate, trovate e raccontate – che hanno protagonisti con nomi e cognomi, a cui possiamo aggiungere fantasia senza togliere loro la dignità del “testimone” reale.
G.R.
Viola Ardone, Le Train des enfants (Albin Michel, Paris 2021)
Présentation de FABIENNE MAGGI BASTENDORFF
Cette présentation a eu lieu (20 janvier 2023) dans le cadre de l’Université de temps libre du Pays de Lorient (Bretagne Sud, France), ou existe un atelier qui s’intitule Autour d’un livre.
Les partecipant á l’atelier sont au plus une trentaine. J’aime présenter des livres de littérature italienne, les écrivains italiens sont peu connus en France, à part quelques stars comme Erri de Luca ou des écrivains plus anciens, type Moravia, Calvino, Buzzati.
Ce texte représente juste un bruillon pour discussion avec le groupe de lecture.
Le roman Le Train des enfants (de Viola Ardone, Éditions Albin Michel 2021) est manifestement en deux parties, deux années différentes, 1946 et 1994, soit 48 ans plus tard. Si vous le voulez bien, je vous présenterai la première partie en essayant de relier l’histoire de notre petit Amerigo à l’histoire réelle de ces trains. Pour la deuxième partie, je vous propose s’il reste du temps d’échanger sur la vie d’Amerigo.
C’est difficile de parler de ce roman qui débute à Naples en 1946, sans faire un bref rappel de la situation de l’Italie après guerre.
En 1943, l’Italie a signé un’armistice séparé avec les allies, mais la guerre ne s’est pas terminée pour autant, au contraire, les allemands ont envahi la péninsule pour s’opposer à l‘avancée des alliés qui avaient débarqué, d’abord en Sicile puis dans le Latium. Le conflit s’est donc déroulé sur le sol italien. Cette avancée des alliés s’est faite au prix de bombardements intensifs et de batailles sur le terrain qui ont détruit routes, voies ferrées, villes, palais, maisons. Résultat: pas de nourriture, et quand il y en a un peu, pas de possibilité d’approvisionnement, pas de carburant.
Dans certaines régions comme la zone de Cassino ou la bataille a été terrible car c’est un verrou important, tout est détruit, les gens n’ont plus de toit, et nombreux sont les champs minées qui perdureront longtemps, autant de dangers supplémentaires pour les enfants.
En ce qui concerne la ville de Naples, c’est la grande ville qui a été la plus dévastée. Elle a été copieusement bombardée à partir de 1940 par les alliés. Il y règne une grande misère. En 1943 les napolitains se révoltent contre les occupants allemands dont le commandant, un certain Scholl se montre particulièrement féroce de envers une population déjà excédée par la guerre et faim… (arrestations arbitraires, prises d’otages, évacuation de quartiers entiers etc.). Au cours de 4 journées restées célèbres (fin octobre 1943), les napolitains, bien que désordonnés se révoltent. Ils se battent partout, dans tous les quartiers, dans toutes les rues et harcellent l’occupant avec l’acharnement du désespoir. Contre toute attente ils réussissent à expulser les nazis qui quittent la ville.
Quand les alliés arrivent ils trouvent une Naples libérée mais et en flammes et encore plus en ruines. Beaucoup de bâtiments ont été incendiés causant une perte patrimoniale irréversible, et les victimes sont nombreuses.
En 1946, après la guerre le pays est profondément meurtri. D’après un rapport de l’Unesco 3.000.000 d’enfants n’ont plus de toit dans la deuxième moitié des années ‘40 et il y a 170.000 enfants des rues. De nombreuses familles sont sinistrées vivant dans les caves et les ruines.
Dans cet environnement, de nombreux comités de sauvetage de l’enfance sont créés un peu partout. A Naples comme ailleurs, sauver les enfants devient une priorité. Les enfants souffrent de malnutrition, de rachitisme, de trachome, et souvent de maladies plus graves comme le paludisme ou la tuberculose. Ils sont utilisés pour le marché noir, la mendicité, la délinquance et la prostitution.
C’est dans les quartiers espagnols de Naples, les plus pauvres, que nous rencontrons Amerigo et c’est lui qui nous raconte son histoire. C’est un petit garçon de 7ans ½, très malin, intelligent, curieux, débrouillard, moqueur, il est avide d’apprendre de la rue, pas de l’école, et dans sa ruelle on l’appelle Nobel. Il vit avec sa maman Antonietta, qui ne montre pas beaucoup de tendresse pour son fils mais nul ne peut douter de son amour de mère.
Amerigo est chiffonnier. Il fait du porte-à-porte pour récupérer des vieux chiffons, des tissus pour sa mère qui les lave afin qu’ils soient revendus. Ils habitent dans un basso c’est-à-dire une pièce en rez-de chaussée sans fenêtre, surtout occupée par un lit ou ils dorment tous les deux. Le papa est censé être parti chercher fortune en Amérique.
Un jour fait irruption chez eux une certaine Maddalena Criscuolo, ancienne partisane et résistante communiste, qui leur fait une étrange proposition. Il est prévu d’envoyer un certain nombre d’enfants dans des familles d’accueil du Nord de l’Italie, afin qu’ils y soient mieux nourris, habillés, soignés. Le voyage se fera en train. Antonietta est perplexe au début et Amerigo et très inquiet. Il se demande où on va l’envoyer, des bruits courent: en Russie, dans des camps communistes pour travailler? On a beau lui dire que c’est pour son bien il flaire une arnaque et se méfie, jusqu’au jour où on lui dit qu’il aura des chaussures neuves alors là, il se décide car il faut dire que Amerigo fait une véritable fixation sur les chaussures.
Quand j’ai lu ce roman, qui m’a beaucoup plu, j’ai tout de suite eu envie d’en savoir plus sur cette affaire, et c’est la que j’ai découvert deux choses
1) que ces trains des enfants ont existé;
2) que cette entreprise avait été complètement oubliée pendant 50ans.
1) Ces trains s’appelaient les trains du bonheur (I treni della felicità). De 1946 à 1952 ce sont entre 70.000 et 100.000 enfants de toutes les régions du sud, qui ont été envoyés en train dans des familles du Nord afin d’échapper toutes les dangers dont je viens de parler.
2) Cette histoire réapparait vers les années 2000 quand un historien, Giovanni Rinaldi, passionné d’histoire orale, commence à recueillir des témoignages de quelques enfants (devenus vieux) de sa région, les Pouilles, qui avaient vécu ces transferts ainsi que de personnes qui avaient hébergé ces enfants. Souvent ce n’étaient plus les parents mais leurs enfants ou même leurs petits enfants à qui on avait raconté cette histoire. Le livre de Viola Ardone est paru en 2019 mais Giovanni Rinaldi travaille sur le sujet depuis 20 ans. Son panel de témoignages s’est enrichi au fil des années (Giovanni Rinaldi, I treni della felicità, Ediesse, Roma 2009, puis réédité – mis à jour et développé – en Giovanni Rinaldi, C’ero anch’io su quel treno, Solferino, Milano 2021).
On peut se demander pourquoi nul n’en a plus parlé pendant si longtemps. Les enfants étaient petits et ils ont pu oublier, sans doute. Mais cette opération a été réalisée essentiellement par le parti communiste italien et la démocratie chrétienne qui a dirigé le pays pendant plus de 30 ans après guerre n’avait aucun intérêt à mettre en avant ce rôle social de premier plan joué par le parti ennemi. Je pourrais ajouter que cette entreprise ayant été menée essentiellement par des femmes, j’y reviendrai… ca a peut-être contribué aussi à cet oubli…
Je vous ai dit 70.000 enfants ce qui ne fait pas loin de 70.000 familles pour les accueillir. Ces familles habitent pour l’essentiel dans la province d’Emilie-Romagne jusqu’aux Marches c’est à dire tout le long de la plaine du Po, jusqu’à la mer adriatique. C’est une région plutôt fertile, agricole, la population est résolument à gauche depuis toujours, et le nord de la péninsule est déjà une terre de solidarité ouvrière qui a connu plusieurs formes d’entraide en 1907 et au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ces familles ne sont pas riches, loin de là: il s’agit de paysans, d’ouvriers, au mieux d’artisans, ou de petits commerçants. Ce sont souvent des familles nombreuses, mais qui n’ont jamais hésité à prendre un enfant de plus par solidarité.
Il faut bien comprendre que l’organisation de tels déplacements d’enfants a nécessité une énergie énorme : convaincre les parents du sud, organiser les convois dans de bonnes conditions, apparier familles et enfants, nourrir tout ce petit monde dans les trains parfois habiller les enfants parce qu’ils sont en haillons, pieds nus, organiser l’accueil sur place. Celles qui se sont investies dans ces tâches ce sont les femmes: des militantes communistes qui se sont organisés en Union des femmes italiennes (UDI) et qui ont fait tout le travail de terrain avec comme seul mot d’ordre sauvons les enfants. Pour elles, il ne s’agissait pas de propagande. Par exemple, au début les dirigeants communistes (des hommes) ne voulaient organiser ces convois que pour les enfants des camarades, et ce sont les militantes qui ont exigé que ce sauvetage soit fait pour tout le monde, camarade ou pas.
Elles ont recueilli tous les vêtements possibles pour habiller les petits, cherché de la nourriture partout et ce n’était pas facile, mobilisé médecins, infirmières et hôpitaux, afin d’organiser les visites médicales indispensables ainsi que les dépistages avant le départ de chaque train… Les différents comités pour l’enfance se chargeaient de la grosse logistique, et tout le reste, on le voit dans le personnage de Maddalena, était fait par les femmes de l’UDI.
L’état affrétait les trains. Dans les premières années de l’après guerre, les voies ferrées étaient encore en très mauvais état et les voyages s’avéraient très longs pour tous ces enfants, 1 jour, 2 jours ou plus, ce qui explique que certains arrivant dans une région enneigée après un si long voyage et entendant parler les gens sur les quais un dialecte qu’ils ne connaissaient pas pensaient vraiment qu’ils étaient arrivés en Russie (actuellement il faut 3h45 Naples Bologne). Au début, l’Église a partecipé à ces actions, mais très vite des tensions sont apparues avec communistes. Le referendum pour définir la nature du régime a eu lieu en juin 46 ainsi que les élections pour l’assemblée constituante. Sale temps pour le parti catholique et monarchique qui est en perte de vitesse. L’église s’est donc non seulement désolidarisée du projet mais elle a essayé de le saboter. En faisant courir les bruits les plus fous… En faisant croire aux pères et aux mères que les communistes allaient envoyer leurs enfants en URSS dans des camps de travail, les garder en otage pour obliger leurs parents à voter communiste voire les manger, leur couper les mains, ou même en faire du savon.
Si certains parents n’étaient pas dupes de ces sornettes comme Antonietta, d’autres étaient vraiment effrayés et ont refusé d’envoyer leurs enfants dans le nord ou les ont laissés partir avec une énorme angoisse.
Comment cela a-t-il vécu par les familles et les enfants? Le roman retrace bien ce qui se passait dans la majorité des cas.
Parents et enfants craignent la séparation. En général il est prévu que l’hébergement en famille d’accueil dure au moins trois mois, parfois plus. Pour les enfants c’est la première fois qu’ils partent loin de chez eux et de leur famille. Beaucoup n’ont jamais pris le train et ne sont même jamais sortis de leur village ou de leur quartier.
La séparation est souvent difficile, marquée par la peur et l’angoisse, tout comme l’arrivée à la gare de destination. Pour cette raison, l’accueil dans les gares se fait avec grand renfort de fanfares distribution nourriture et de sucreries.
Dans le cas d’Amerigo on peut considérer que son adaptation s’est faite facilement. Mais ça n’a pas toujours été le cas.
Pour un certain nombre d’enfants, la peur pouvait rester parfois plusieurs jours voire plusieurs semaines. D’abord il y a la barrière de la langue. Le dialecte est différent souvent on ne se comprend pas bien. Les enfants n’osent pas parler. Puis ressurgissent les craintes dues aux sottises des prêtres. Les enfants s’enfuient quand on allume le four pour cuire le pain, c’est ce qui arrive a Amerigo, une autre petite fille reste les mains cachées par crainte qu’on ne les lui coupe. C’est le cas de Mariuccia mais attesté par un témoignage: assez vite, cependant, ils se rendent compte qu’on les traite bien, qu’ils mangent à leur faim, et plusieurs fois par jour, dorment dans de vrais lits vont à l’école, ont droit a des loisirs et souvent beaucoup de tendresse et de gentillesse.
Une statistique datée du 30 mai 1946 souligne à propos de 2.250 enfants accueillis qui venait de Cassino. Une centaine d’entre eux a dû être ramenés chez eux car il n’était pas possible de les consoler d’être loin de leur famille. Pour pallier la séparation d’avec les frères, sœurs et amis, qui sont hébergés dans d’autres familles, des rencontres sont organisées. Les familles avec les enfants se réunissent pour des gouters ou des fêtes afin que les petits retrouvent leurs amis leurs frères leurs sœurs. On le voit dans le livre quand les enfants se retrouvent lors d’occasions diverses. Mais surtout, de nouveaux liens se créent avec les nouvelles familles. Les familles d’accueil deviennent de vrais parents d’adoption et certains tisseront des liens qui dureront des années.
Le retour dans leur foyer n’est paradoxalement pas un moment de joie. Il y a de la peine, voire de la douleur dans ce qui est vécu comme une deuxième séparation familiale. Ces sentiments révèlent la profondeur des liens tissés entre les enfants et la famille d’accueil, certains enfants ne veulent plus partir. D’autres, comme Amerigo, repartent mais ne supportent plus leur vie d’avant, et prennent la décision de retrouver leur famille du nord.
Maintenant, je vais vous lire quelques témoignages qui vont vous évoquer quelque chose.
Viola Ardone a le mérite d’avoir écrit un roman très touchant, dans la seconde partie du livre la veine romanesque est relativement personnelle.
Cependant la première partie de son roman est un condensé de témoignages réels recueillis par d’autres qu’elle, et notamment Giovanni Rinaldi, qui a fait et fait toujours un travail de terrain assidu, recueillant les témoignages des protagonistes, traversant l’Italie pour aller les rencontrer. Ces personnes sont très âgées, il faut faire vite. Al la lecture comparative de ces textes, force est de constater que Viola Ardone n’a pas hésité à mettre dans sont livre, quelquefois sans même changer les noms et en reprenant des phrases recueillies par Giovanni Rinaldi au mot près.
Ce sont des témoignages issus de ce livre, non traduit en français, j’ai donc traduit pour vous ces passages.
Les manteaux (en Giovanni Rinaldi, I treni della felicità, Roma 2009, pp. 93-94 et Giovanni Rinaldi, C’ero anch’io su quel treno, Milano 2021, pp. 168-170)
Voici le témoignage de Gaetano Macchiaioli grand intellectuel, philologue, philosophe, écrivain, éditeur, militant dirigeant du P.C.I. napolitain et principal responsable des transports de ces milliers d’enfants. Cet épisode nous fait toucher du doigt l’extrême pauvreté des familles et leur grande capacité à réagir face à l’adversité avec imagination et roublardise :
Le premier train était prêt: tout avait été organisé avec soin: les enfants affluaient vers le centre d’assistance pour les douches et pour un petit déjeuner chaud. Là, on leur donna des manteaux distribués par le ministère de l’assistance publique. Une fois les manteaux distribués en fonction des tailles de chacun, les camarades de l’UDI y cousaient le nom et le numéro d’identification de chaque enfant.
Les enfants furent emmenés en autobus jusqu’à la gare.
En tant que responsable des transports, il me semblait que tout avait été prévu, mais on n’avait vraiment pas prévu que les mères auraient récupéré les manteaux de leurs enfants sur le départ, pour les donner aux frères et sœurs plus jeunes restés à la maison. Quant à ceux qui partaient elles pensaient qu’on s’en occuperait de toute façon.
Que faire? Les numéros des enfants avaient disparu en même temps que les manteaux, envoyer des enfants sans manteaux dans le nord en plein mois de janvier était risqué, mais ne pas partir aurait entraîné un embouteillage de trains parce d’autres trains attendaient. Et cela aurait donné une image désastreuse de l’opération. Finalement nous avons quand même décidé de faire démarrer le train.
Les mères avaient pris les manteaux alors que les enfants étaient déjà montés dans le train et elle se les étaient faits lancer par les fenêtres. Ce fut une surprise pour nous, mais pas pour leurs enfants qui étaient sans doute déjà prévenus de ce qu’ils auraient à faire, tant l’opération fut rapide.
Vous reconnaitrez sans peine l’épisode relaté par Americo dans le livre de Viola Ardone.
Americo et Derna
(dans le livre de Giovanni Rinaldi, I treni della felicità, 2009 et Giovanni Rinaldi, C’ero anch’io su quel treno, Milano 2021)
Derna est issue d’une famille pauvre de la région d’Ancône. Très jeune elle se forge une forte conscience politique ce qui l’amène à participer à la Résistance comme estafette partisane. Après la libération elle choisit l’engagement politique elle adhère au Parti communiste local participant avec enthousiasme à toutes les initiatives qui promeuvent la renaissance sociale du pays et l’émancipation des femmes. Elle collabore à la fondation des premiers cercles de l’U.D.I. de la province d’Ancône et à la réalisation d’œuvres en faveur des enfants. A la chambre du travail de 1945 à 1955 elle aura la charge de diriger la commission féminine provinciale.
On voit la parenté avec notre Derna du Train des enfants qui est ancienne résistante, syndicaliste, c’est la même. Hors Viola Ardone a dit que c’était un personnage imaginaire, ainsi qu’Amerigo, d’ailleurs.
Elle raconte sa rencontre avec Americo. Parents rêvaient d’Amérique. Ces enfants venaient des Pouilles et cela se passe en 1950. Raconter la grève, les familles emprisonnées etc etc… Quand les enfants sont arrivés ma tante Maria est venue à la gare et a pris le plus petit. Les accompagnatrices m’avaient dit que cet enfant avait beaucoup pleuré dans le train parce chaussures parce qu’on lui avait mis des chaussures de sa petite sœur et elles le serraient. (Rinaldi 2009, p. 65)
Remarquer que Derna qui n’avait pas prévu de prendre d’enfant a vu ce cet petit de six ans qui pleurait elle l’a pris dans ses bras et c’est une grande histoire d’amour qui est commencé là.
Récit de Americo
J’avais 6 ans et demi, et sans doute j’étais le plus petit, en tout nous étions une quinzaine, une vingtaine. Il y avait aussi mes sœurs. Soccorsa, ma jumelle et Antonietta. On est arrivé en train. Dans le train ils nous ont donné des sandwichs avec de la mortadelle, c’était la première fois que je mangeais de la mortadelle. Petit j’ai connu la faim: à la maison on mangeait seulement une fois par jour, et seulement du pain. (Rinaldi 2009, p. 65)
Le retour: après six mois j’ai dû retourner dans le sud parce que mon père était sorti de prison il faisait nuit quand je suis arrivé. La gare n’était pas illuminée, c’était tout sombre. Là, nous attendaient toutes les femmes, les mères les tantes tout habillées de noir venues nous accueillir. Combien de cris de joie de hurlements d’embrassades et des baisers! A l’époque on nous avait dit qu’on nous aurait envoyés en Russie et qu’en Russie il y avait les communistes qui mangeaient les enfants et ma mère qui ne lisait pas les journaux, qui n’avait pas la radio, elle s’était laissée influencer par ces sottises, elle pleurait parce qu’elle ne savait pas ou nous avions réellement été envoyés. (Rinaldi 2009, pp. 68-69).
Americo qui doit se faire soigner (rachitisme) fait plusieurs allers et retours à Ancône pour des soins plus adaptés. Mais le retour au pays est de plus en plus pénible pour lui:
Un soir je me souviens j’avais été ramené depuis Ancône, je pense que c’était la 2e fois. À l’arrivée du train on gare, j’ai fait le fou parce que je ne voulais pas retourner à la maison les carabiniers ont été obligés d’intervenir pendant que mes parents m’attendaient sur le quai je donnais des coups de poing je mordais j arrachais des cheveux et je me souviens qu’a la fin j’ai dû céder car j’étais épuisé. Mon père m’a ramené à la maison en me portant sur ses épaules. (Rinaldi 2009, p. 70)
Ancône me plaisait, le nouveau monde me plaisait. A la fin mon père s’est résigné. Je n’acceptais plus la vie d’en bas et une fois j’ai même fait la grève de la faim. Je ne mangeais plus parce que ces retours étaient trop traumatisants. Ma mère au contraire a tout de suite compris parce qu’elle voyait que je dépérissais. Peut-être avait elle l’espoir qu’un jour reviendrais. (Rinaldi 2009, p. 71)
Un jour ma mère préoccupée par mon état, est allée à la chambre du travail pour connaître l’adresse de la famille qui m’avait hébergé a Ancône. Elle a pu se mettre en rapport avec Derna qui est tout de suite venue me chercher dans le sud. Elle est arrivée la nuit à 3h30 du matin. Elle avait fait le voyage toute seule elle est descendue à la gare et je l’ai retrouvé à la maison au beau milieu de la nuit. (Rinaldi 2009, p. 70)
Americo passe son enfance avec Derna puis entre en apprentissage chez un coiffeur et plus tard a monté son affaire. Il a vécu toute sa vie à Senigallia, sur la côte adriatique.
Dans les interviews, il souligne que le livre de Ardone raconte son histoire. Il le vit très mal car elle ne s’est jamais donné la peine devenir lui parler. Il est encore vivant.
(Lire sur le blog de Rinaldi: https://giorinaldi.com/2020/12/03/chi-e-amerigo-de-il-treno-dei-bambini-di-viola-ardone/)
Vincenzo
(extrait de l’article sur le blog de Rinaldi, 21 mai 2018, puis inséré dans le livre C’ero anch’io su quel treno, 2021).
Il a été envoyé á Sinalunga sur la cote adriatique, et a été hébergé par un couple. Il ne les a plus retrouvés après.
Récit de Vincenzo (Rinaldi blog 2018 et Rinaldi 2021 p. 221):
Je me souviens de cette année 1947 comme d’un enfer. Ma mère vendait dans la rue sur un petit étal, des chiffons, des chutes, des tissus et des vêtements usés des soldats Anglais et Américains, du affaires très sales pleines de pouces. Mon frère et moi devions les nettoyer laver pour réussir à les vendre à des moins pauvres que nous (Rinaldi blog 2018 et Rinaldi 2021, p. 221).
(Livre Ardone pp. 20-21. Quand mon père et ma mère se sont séparés, je suis resté avec elle, et mon frère est allé vivre chez un oncle).
J’avais neuf ans. Je travaillais du matin au soir. Toujours à pied, partout, jusqu’à Naples j’allais chercher ces chiffons, ces torchons, ses vêtements usés et je les portais à ma mère à Pozzuoli. Je transportais aussi des fruits. Des grands paniers très lourds que je tenais en équilibre sur la tête. Au bout de quelques temps mes cheveux ont commencé à tomber à cause du frottement du panier et j’avais la le dessus du crane chauve.
Je ne me souviens pas de ce que je mangeais, je ne me rappelle pas si j’avais quelque chose à manger, une table ou s’asseoir je ne me souviens de rien. C’était le néant. Je ne me souviens pas ma mère m’appelant où me faisant rentrer à la maison pour manger ou autre chose. Rien la maison, quelle maison? C’était une chambre sale au rez-de-chaussée, je ne me souviens même pas comment je dormais, peut-être sur de la paille, peut-être sur un chiffon par terre. Il n’y avait pas de lit, ce n’était pas une maison. (…)
Je ne me souviens d’aucun de geste d’affection et de gentillesse de la part de ma mère. Elle me disait ce que je devais faire et je le faisais, c’est tout. (…)
Je ne me souviens pas de ces années comme des années d’enfance, je n’ai pas eu d’enfance. À huit ans j’étais déjà un homme au travail, sans aucune autre préoccupation.
(Rinaldi, blog 2018 et Rinaldi 2021, p. 221)
Il arrive dans leur maison:
En entrant elle ouvrit une porte et elle me dit que cela était ma chambre, il y avait deux lits, un pour son fils de vingt ans, Sergio, et l’autre pour moi. (…) Je ne comprenais pas réellement ce qu’était un lit, je n’en avais jamais vu et je m’approchais pour le toucher, appuyant avec les doigts, qui s’enfonçaient dans le moelleux. C’était nouveau, je demandais ce que c’était. Maria me répondit que c’était un lit, pour dormir, avec un matelas rempli de plumes. (…)
Ils se sont occupés de moi, comme si j’étais leur enfant. Je n’avais pas de vêtements, alors Maria prenait les pantalons et les chemises de son fils, aîné elle les décousait, les adaptait et les recousait à ma taille. (…)
Ils m’emmenaient au cinéma, au jeu de boule. (…)
Après quelques mois à Sinalunga, ils m’ont inscrit à l’école élémentaire. (…) J’ai été très heureux avec mes nouveaux camarades, dès les deux premiers mois j’avais déjà appris à parler italien et un peu toscan et il n’y eut aucun de problème. (…)
Passes l’été et l’automne je dus repartir pour Pozzuoli. (…)
J’arrivais à Naples, mais je ne me souviens de rien, je ne sais pas s’il y avait quelqu’un pour m’attendre, je ne sais pas comment je suis retourné à la maison.
A partir de mon retour, ma mère ne m’a jamais demandé ce que j’avais fait avec la famille qui m’avait hébergé. Elle ne m’a jamais demandé si j’avais été heureux et bien traité. Elle ne me demande jamais rien. Mais souvent, les années qui ont suivi, j’ai compris que Maria, de Sinalunga, lui écrivait et lui demandait de mes nouvelles. (…) Ma mère reçut énormément de lettres de Maria et même une photo. Dans certaines lettres, Maria proposait de m’adopter, elle voulait que je retourne à Sinalunga pour vivre mieux. Je le sais parce que de temps en temps ma mère laissait échapper un mot, mais ces lettres je n’ai jamais réussi à les lire, ni vu la photo. Ma mère a tout fait disparaître et elle n’en a jamais plus parlé. Elle ne le faisait pas parce qu’elle m’aimait bien, elle ne m’a jamais fait une caresse.
(Rinaldi, blog 2018 et Rinaldi 2021, pp. 223-225)
Umberto
(dans le livre de Giovanni Rinaldi, I treni della felicità, 2009 et Giovanni Rinaldi, C’ero anch’io su quel treno, 2021)
Umberto est un exemple d’un enfant, qui, comme Amerigo, ne peut plus supporter de vivre comme avant après son séjour dans une famille du nord. Originaire de Frosinone ou tout est détruit, c’est lui qui insiste pour partir. Il va à Lugo di Romagna.
Ils nous ont emmenés en autobus jusqu’à la place Baracca où, près de l’Église, il y avait le siège du Parti communiste. Nous avons eu une visite médicale, puis les familles sont arrivées. Ils choisissaient, je crois, seulement par sympathie [en livre Ardone Amerigo croit cela aussi]. Nous étions tous de de Frosinone, il y avait peu de filles. Je n’étais pas du tout effrayé. A un certain moment un couple se présenta. Lui auparavant s’était approché d’un autre enfant plus grand, mais elle m’avait déjà remarqué et elle lui dit: regarde ce petit renard. Se référant à mes cheveux, couleur de cuivre [en livre Ardone Amerigo est roux].
C’était le couple Randi, Constante et sa femme, Lucia Siani. Et ainsi, il m’ont choisi et m’ont emmené chez eux. (…) (Rinaldi 2009, p. 123)
J’étais plus curieux que peureux. Quand ce fut l’heure d’aller au lit ils m’ont donné une chambre rien que pour moi. A Frosinone je partageais ma chambre avec quatre de mes huit frères. Ils ont ouvert la porte de la chambre et ils dit: Voilà ton lit. Je n’avais jamais vu un lit aussi beau. Je remarquais un gonflement sous les draps et je dis: mais là, il y a déjà quelqu’un? Je pensais qu’il y avait une personne qui dormait déjà. Non, non, m’ont-ils rassuré. C’est le ‘prêtre’ (en France on appelle ça un moine), le chauffe lit. Je n’en avais jamais vu. Les jours suivants, il m’ont emmené dans le village et à chaque fois qu’il sortaient il m’emmenaient avec eux. Leurs amis me disaient: tu as de la chance, tu es bien tombé, parce que ce sont vraiment des gens bien. (…)
(Rinaldi 2009, p. 123)
Nous sommes allés à la mer avec la famille. Je n’avais jamais vu la mer. Il s’était déjà passé quatre mois depuis mon arrivée et juste là, pendant que j’étais sur la plage à prendre le soleil, l’ordre de retourner à la maison est arrivé.
(Rinaldi 2009, p. 124)
À la maison, je suis resté quarante jours. Mais j’étais triste et je désirais retourner à Lugo. Tous les jours, je sortais de la maison et j’allais à la gare et je restais là pendant des heures. Ma mère décida alors de m’accompagner de nouveau à Lugo pour connaître la famille qui m’avait hébergé. Elle avait compris, parce que une mère sent certaines choses. Je souhaitais retourner. Et la famille Randi le souhaitait aussi. Parce qu’ils n’avaient pas d’enfant. J’y suis retourné et je ne suis plus reparti. Dans ma famille, ils étaient contents parce que j’étais heureux.
Quand as-tu ajouté ton deuxième nom au tien?
J’ai attendu, j’ai gardé mon nom de Mafferri très longtemps, et seulement après la mort de mes parents, j ‘ai ajouté le nom de Randi. J’ai eu deux familles et maintenant j’ai deux noms.
(Rinaldi 2009, p. 126)
Mon auditoire a été très intéressé par le rappel des faits historiques, et touché par la situation désespérée des familles et des enfants de l’immédiat après-guerre.
Mais surtout, ils ont été extrêmement choqués des emprunts sauvages opérés par Viola Ardone aux témoignages réels, si émouvants et précieux, et au fait qu’elle n’ait jamais daigné s’intéresser à ces personnes allant même jusqu’à alléguer que les personnages de Derna et d’Amerigo étaient le fruit de son imagination. Beaucoup ont considéré que le manque de respect pour les protagonistes de cette affaire, conjugué au manque de respect pour les historiens qui ont travaillé avec acharnement pour faire revivre cet épisode si étonnant et fort de l’histoire italienne, était indigne, et beaucoup ont souligné qu’ils s’abstiendraient à l’avenir de lire ses livres traduits en français.
Fabienne Maggi Bastendorff
Nota:
Viola Ardone, Le Train des enfants, Albin Michel, Paris 2021 (première ed. Il treno dei bambini, Einaudi, Torino 2019)
Giovanni Rinaldi, I treni della felicità. Storie di bambini in viaggio tra due Italie, Ediesse, Roma 2009
Giovanni Rinaldi, C’ero anch’io su quel treno. La vera storia dei bambini che unirono l’Italia, Solferino, Milano 2021
Blog Rinaldi: giorinaldi.com
Il treno dei bambini – dossier Rinaldi
Mes compliments à Fabienne